« Il ne faut pas avoir peur des statistiques ethniques »

Jean-Paul Gourévitch, expert international des questions migratoires, a répondu à nos questions au sujet de sa polémique avec le Centre d'information et d'études sur les migrations internationales (CIEMI). Largement subventionnée par les collectivités de gauche, cette structure a organisé, en 2015, une session de formation intitulée « Bénéfices et coûts de l'immigration : des calculs aussi impossibles qu'inutiles ». Formulation abrupte qui, explique Gourévitch, entend rayer d'un trait vingt ans de recherches sur le sujet.
Le CIEMI (Centre d’information et d’études sur les migrations internationales) estime que calculer le coût de l'immigration est à la fois impossible et inutile. Comment dès, lors, estimer les retombées de la politique d'immigration française ?

Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit d'une sorte d'aveuglement volontaire sur les données statistiques. Car, quels que soient les chiffres donnés par les uns ou les autres, le fait de considérer qu'il est inutile de les fournir est une façon de se fermer les yeux.

Étant donné que la plupart des études, y compris celles qui admettaient autrefois un bénéfice, comme celle de l'université de Lille-3, se rendent compte aujourd'hui que le résultat est bien déficitaire, cela gêne la position de ceux qui considèrent que l'immigration est une chance pour la France. Cependant, les données chiffrées ne sont que des éléments. Il y a bien d'autres phénomènes qui pourraient déterminer si l'immigration est une chance ou une malchance. Mais en tout cas, le fait de ne pas tenir compte des chiffres est une façon de couper l'herbe sous le pied à ceux qui estiment que l'immigration coûte.


Cette démarche n’ouvre-t-elle pas la porte aux estimations et aux instrumentalisations les plus diverses ?

Une information, c'est toujours mieux qu'une estimation ou qu'un chiffre jetés à la louche. À partir du moment où vous refusez de vous appuyer sur des informations existantes, vous laissez la parole aux rumeurs. Et là, il n'y a plus de maîtrise. Vous qui avez longuement étudié le sujet, notamment dans votre dernier livre*, en quoi jugez-vous, justement, ce calcul utile ?
Il paraît normal que les Français sachent comment est composée leur population. On a des tas d'informations, données par l'INSEE, l'INED ou d'autres organismes sur la taille des ménages, le revenu des familles, etc. Pourquoi se priverait-on d'informations sur l'origine des gens ? Je ne vois pas en quoi ces informations sont condamnables. Ce n'est pas parce qu'on dira qu'il y a plus de quatre millions de Maghrébins en France qu'on attaquera les populations maghrébines pour autant. Ça n'a pas de sens. Dans une société transparente, ou de sur-information comme la nôtre, il parait important que des organismes, qu'ils soient officiels ou tolérés par les pouvoirs publics, soient habilités à fournir des éléments chiffrés. De ce point de vue, la querelle sur les statistiques ethniques qui s'est déclenchée autour de Robert Ménard, maire de Béziers, est mauvaise. D'autres pays du monde les utilisent – comme la Suisse, modèle de démocratie. Là encore, je ne vois pas, sauf à faire une sorte de terrorisme intellectuel, en quoi les utilisations de ces statistiques seraient une machine de guerre...
Comment expliquer les écarts importants entre les résultats des différentes études sur le coût de l'immigration, et notamment celle menée par l'université Lille-3, qui fut la seule à conclure à un bénéfice ?

D'abord, la première estimation de Lille-3, qui avançait plus de 12 milliards de bénéfices, ne portait pas sur l'immigration, mais sur les comptes sociaux, ce qu'ils avaient d'ailleurs bien indiqué. Ce sont les journalistes qui, trop contents de trouver enfin un organisme considérant que l'immigration était bénéficiaire, ont titré que l'immigration rapportait 12 milliards par an, alors qu'il s'agissait strictement, je le répète, des comptes sociaux.
Deuxièmement, en 2012, l'université de Lille a modifié ses chiffres. On est alors passé de 12 milliards de bénéfices à… 3,9 milliards. C'est tout de même complètement différent. Et ceci sans compter du tout le coût de l'immigration irrégulière... Enfin, récemment, ils ont fini par considérer eux aussi que, finalement, le coût de l'immigration serait peut-être déficitaire. Ainsi, aujourd'hui, je ne vois plus d'organismes disant que, sur un plan strictement comptable, l'immigration est bénéficiaire.
Maintenant, entre les différents chiffres proposés, dont les miens, il y a effectivement un écart important. Il y a des méthodes différentes. Par exemple, je considère, en tant que chercheur, que l'honnêteté est d'expliquer ces modes de calculs, ce que j'ai fait. À partir du moment où l'on a des modes de calcul différents, on arrive à des résultats différents. Tout simplement.
Cependant, il est vrai que je me différencie de tous mes collègues, puisque je sépare fondamentalement la balance dépenses/recettes et la balance investissements/comptabilité, car c'est une balance qui ne peut pas être calculée immédiatement. La rentabilité des immigrés, et surtout des enfants d'immigrés, ne sera mesurable que le jour où ils seront rentrés sur le marché du travail.
Pour en revenir au CIEMI, selon la présentation de la session de formation 2015, les bénéficaires de l’immigration ne sont pas les immigrés eux-mêmes, mais d’une part les passeurs et d’autre part, les entreprises. Partagez-vous cet avis ?
Le CIEMI, qui ne fait pas mystère de ses engagements, considère d'abord les migrants comme des victimes, jamais comme des gens responsables des choix qu'ils font et qui pourraient les assumer. Donc il s'agit bien de montrer que, s'il y a par exemple une immigration irrégulière, ce n'est pas de la faute des migrants, mais de ceux qui les instrumentent ou leur refusent l'accès aux migrations régulières.
C’est une prise de position que l’on pourrait qualifier de politique. C'est cela qui me gêne dans la démarche du CIEMI, qui se veut, à l'origine, un centre d'information et d'étude sur l'immigration internationale. D'autre part, il bénéficie d'un certain nombre de subventions qui viennent de municipalités, de l'État ou d'organismes situés à gauche. À partir de là, il est évidemment difficile pour eux d'afficher une neutralité totale.
Quel intérêt l'État et les collectivités locales trouvent-ils à financer le CIEMI ?
Il est toujours bon de pouvoir s'appuyer sur un organisme important, qui a une visibilité nationale et internationale et qui, du fait de cette visibilité, va pouvoir aller dans le sens de ce qu'on pourrait appeler « la pensée dominante ».
Pourquoi la question de l’immigration est-elle plus taboue en France que chez nos voisins allemands ou anglais par exemple ?
D'abord, nous avions un système où les moteurs d'intégration, comme la cité, l'armée, l'école, ou encore l'Église, fonctionnaient bien. Aujourd'hui, ces moteurs sont grippés, alors que nous continuons à recevoir des migrants. De ce fait, la difficulté d'intégrer rend la question assez taboue.
Quant aux autres pays, ils n'ont pas les mêmes concentrations de populations que nous. Si l'on compare l'Allemagne avec la France, l'Allemagne a un grand nombre de migrants, mais qui sont disséminés dans plusieurs grandes villes du territoire. Or, en France, nous avons des concentrations extrêmement fortes par exemple dans la banlieue parisienne, en Seine-Saint- Denis.
Ensuite, il y a toujours eu, du côté de la gauche, une difficulté à aborder de front la question des migrations. Même si une partie de la population qui vote à gauche est relativement réticente par rapport aux flux migratoires, les responsables des formations politiques, par volontarisme probablement, souhaitent promouvoir un vivre-ensemble qui, aujourd'hui, n'est pas accepté par tous.
 * Dernier ouvrage paru : Les migrations pour les nuls, First éditions, 2015

LE COÛT DE L’IMMIGRATION
Outre Jean-Paul Gourévitch, plusieurs experts ont calculé le coût de l'immigration. Le pionnier fut Pierre Milloz, ancien élève de l'ENA. Sur le site de Polémia, on peut également se référer aux travaux du consultant indépendant André Posokhow, qui aboutit au chiffre de 84 milliards d'euros, soit l’équivalent du déficit public.
Ce chiffre s’explique par le caractère global de l’étude : André Posokhow prend en compte les secteurs où il y a de nets surcoûts dus à l’immigration : la police et la justice, par exemple. Mais il ne néglige pas les autres secteurs tels que l’éducation ou le logement. Posokhow englobe l’ensemble des recettes fiscales et sociales dues à l’immigration. Le rapport Posokhow fait apparaître un solde recettes/dépenses négatif de 63 milliards. Enfin, André Posokhow n’oublie pas que, sur les trente dernières années, l’immigration a contribué au déficit public. Ce déficit public a lui-même coûté au budget de l’Etat en intérêts versés, qui ont eux-mêmes nourri l’endettement. C’est ainsi qu’on arrive à un total de 84 milliards : gisement d’économies considérable dans la perspective du redressement des finances publiques. www.polemia.org

 

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