CRIMINALITÉ

Les tribus du crime. Partie 2 :les bandes afro-maghrébines

Nous poursuivons l’étude consacrée aux bandes criminelles ethniques sévissant sur le territoire français, fondée sur les travaux de Frédéric Ploquin, journaliste à l’hebdomadaire Marianne. Ce travail journalistique – notamment le dossier sur « Les nouvelles tribus du crime » – a récemment été corroboré par un ouvrage du criminologue Alain Bauer, Histoire criminelle de la France (éd. Odile Jacob). Pour ce deuxième volet de notre série, découvrons comment les criminels afro-maghrébins se partagent les trafics de banlieues.

En 2010, Bernard Barresi, figure du grand banditisme marseillais, prédisait aux policiers qui venaient de l’arrêter : « Vous livrez la ville aux Arabes... » Le bilan de morts par balle dans la cité phocéenne durant l’année 2012 semble lui donner raison : déjà plus de vingt tués, victimes des règlements de comptes entre clans ethniques adverses. La bande de La Brise de mer, longtemps considérée comme la plus influente entre Aix-en-Provence et Nice, cède maintenant la place à des bandes ethniques portant le nom des cités qui les ont vu éclore.


Les vieux « ténors » du grand banditisme sont pris en tenaille par la police, qui les connaît bien, et les nouvelles bandes, qui ne respectent pas les codes du milieu criminel traditionnel. Tel est pris qui croyait prendre… Les anciens ont cru se servir des immigrés des banlieues pour leurs trafics, mais finissent par se faire supplanter par ceux qui, grâce à leur famille en Afrique ou dans les Antilles, ont des connexions directes avec les lieux de production de la drogue. « Les voyous ont cédé la place aux clans », résume Jean-Jacques Herlem, patron de la police judiciaire parisienne.
« Trafic de main-d’oeuvre, arnaques, contrefaçons, fausse monnaie, vols, contrebande de cigarettes, le gâteau est énorme », rappelle Frédéric Ploquin. Le rôle de la crise actuelle n’est pas étranger à l’essor de ces nouvelles bandes : elle réduit l'économie ouverte au profit de l'économie fermée et clandestine. L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime évalue ainsi à 1.600 milliards de dollars les sommes blanchies par les criminels dans le monde en 2009. Trafic qui échappe complètement aux autorités : la part saisie en représente moins de 1 %.

ORGANISATION INFORMELLE QUI ÉCHAPPE AUX POLICIERS
La nouvelle organisation des bandes ethniques ne facilite pas la tâche de la justice. Car l’une des caractéristiques des trafiquants issus des cités est qu’ils sont totalement inconnus au bataillon lorsque la police les arrête, souvent par hasard – lors d’un contrôle d’identité, par exemple. S’ils ont parfois laissé quelques traces dans les fichiers pour des broutilles de jeunesse, ils ne sont pas dûment répertoriés et photographiés comme l’étaient les bandits d'hier. Ces immigrés qui vivent de trafics multiples surgissent de nulle part, et même les policiers travaillant sur les banlieues ignorent leurs points de chute, leurs cafés favoris et encore plus la liste de leurs complices…
La mentalité de ces bandes n’a rien à voir avec celle des voyous d’autrefois : ils n’ont même plus conscience que leurs actions sont répréhensibles. La police est considérée comme une simple « bande concurrente ». Frédéric Ploquin nous livre les confidences d’un trafiquant de trente-deux ans, d'origine marocaine et récemment condamné à six ans de prison dans une ville de l'est de la France pour trafic de cannabis : « Je faisais mon biz [commerce, ndlr], tranquille. Je ne brillais pas. Quand ils sont venus me chercher, on aurait dit que j'étais Mohamed Merah ! Ils ont tout explosé. Je ne suis pas un gros voyou. Si je fais le biz, c'est juste un tremplin... On me reproche d’être allé quinze fois au Maroc en quatre ans, mais je suis un Arabe, je suis pas un Esquimau ! J'ai jamais eu d’histoires, je n'ai volé personne, je n'ai fumé [tué, ndlr] personne. Si j'avais habité Neuilly, j'aurais pas fait ça ! »
Pour ce trafiquant, propriétaire de deux cybercafés et père de famille, le cannabis est un marché comme un autre. Il parle de son activité criminelle comme si elle était autorisée : « Ce n'est pas très organisé. Ça arrive par 500 kg. C'est chacun de son côté. On fait venir ça d'Espagne, où la corruption repart comme avant avec la garde civile, à cause de la crise. » Il parle également de la complicité de la police française : « Si tu as le commissaire dans la poche, ça va évidemment plus vite ! »


BLANCHIR L’ARGENT DANS L’IMMOBILIER DU PAYS D’ORIGINE
Le lien entre les voyous immigrés en France et leur pays d’origine est crucial pour la mise en place des trafics. Cela permet, par exemple, aux voyous maghrébins d’être en contact direct avec les cultivateurs de cannabis, mais aussi de blanchir leurs bénéfices. Notre trafiquant marocain avait ainsi réinvesti son argent dans l’immobilier au « pays ». La drogue lui a bien rapporté – à vingt ans, il avait déjà accumulé 150.000 euros –, comme à beaucoup d'autres : la hausse sans cesse croissante du trafic de cannabis, combinée au réinvestissement des profits dans le foncier, a déjà fait de nombreux millionnaires au Maroc ou en Tunisie.
Revers de la médaille, à force de produire de grandes quantités d’argent liquide, le trafic engendre également son lot de règlements de comptes, d'enlèvements et de séquestrations – autant de modes de régulation sauvage dans un monde où l'on se pille et s’assassine sans scrupule. La kalachnikov est devenue une solution de facilité pour neutraliser la concurrence.
Les trafiquants, organisés selon leur région d’origine et les solidarités de cités, sont extrêmement durs à coincer. Toutefois, il ne passe pas une semaine sans que les forces de l’ordre (douanes, gendarmerie, police) ne mènent des opérations « coup de poing », aboutissement d’enquêtes minutieuses. Le 20 juin, les policiers ont ainsi arrêté un certain Mohammed Bessarne, trente-six ans, alors qu'il convoyait vers Grenoble 3.650 kg de résine de cannabis. Mi-octobre, seize personnes ont été condamnées, à Grasse, à des peines allant d’un an de prison avec sursis à dix ans de prison ferme, pour avoir participé à un vaste réseau de trafic de résine de cannabis et de cocaïne entre le Maroc et la célèbre banlieue de l’immigration, à Strasbourg. Une quinzaine de personnes ont été arrêtées… La liste est interminable.
Et même derrière les barreaux, certains trafiquants continuent à piloter leurs réseaux. Les bandits africains, grâce à leur fonctionnement clanique, gardent facilement le contact avec l’extérieur. La police a ainsi découvert, en mai 2010, que l’un des principaux trafiquants des Pays de la Loire était un Sénégalais immigré en France et incarcéré à Nantes. Depuis sa cellule, il donnait ses ordres à ses complices, dont sa compagne, qui faisait des allers-retours entre Paris et la région de Nantes pour convoyer plusieurs kilos d’héroïne et les vendre aux clients habituels… Bien qu’inexpérimentée, elle n’avait qu’à suivre les habitudes d’une structure quasi commerciale et fort bien rodée, qui brassait jusqu'à 240.000 euros dans l'année. Le Sénégalais, déjà condamné treize fois, continuait ainsi son trafic en toute impunité.
Selon Ploquin, les groupes criminels noirs constituent une nouveauté des banlieues parisiennes. Tantôt ils rivalisent avec des Arabes pour le cannabis, tantôt ils s’associent avec eux, surtout pour la cocaïne. L’émergence de bandes ethniques noires est notamment due au renforcement de la présence policière dans les Antilles. Pour pallier la difficulté de passer la drogue via les îles françaises, les cartels latinoaméricains font maintenant transiter leur marchandise par les ports d'Afrique de l'ouest, en misant sur les Etats les plus faibles du continent noir. Résultat : les voyous originaires de ces pays constituent, dans les banlieues françaises, l’aboutissement logique de ces filières et gagnent leur place sur le marché de la drogue, au détriment des bandits antillais.
Frédéric Petit
Le mois prochain : « Les groupes criminels chinois et romanichels à l’assaut de la France ».

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