AFFAIRE YAHYA EL MIR : QUAND LES CHOIX GOUVERNEMENTAUX ENCOURAGENT LES DÉLOCALISATIONS

AFFAIRE YAHYA EL MIR : QUAND LES CHOIX GOUVERNEMENTAUX ENCOURAGENT LES DÉLOCALISATIONS

Par Guillaume Bénec’h
collaborateur de l’association Polémia (www.polemia.com)

 

Éric Besson, ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire a ouvert un site Internet de « débat sur l’identité nationale ». Or, il l’a confié à SQLI, une entreprise mondialisée, dirigée par M. Yahya El Mir, un patriote… marocain ! Plus choquant encore : cette société travaillant pour de nombreuses entités publiques françaises se fait une gloire de délocaliser les emplois en recourant aux ressources « offshore » (sic), c’est à dire étrangères.
Et si l’affaire Yahya El Mir n’était que l’arbre qui cache la forêt ? À y regarder de plus près, c’est toute la politique de commande publique qui mérite d’être examinée : pourquoi l’État privilégie-t-il des entreprises qui jouent le rôle de fer de lance dans les délocalisations d’emplois ?

1

Rappel des faits et explications :
Dirigée par un ressortissant marocain, M. Yahya El Mir, la société SQLI a obtenu du ministère de l’Immigration la création et la gestion du site de « débat sur l’identité nationale ». Cotée au second marché, la SQLI est une importante société de services en informatique (SSII), spécialisée dans les nouvelles technologies de l’information. La SQLI est un « intégrateur » qui apporte à ses clients des « solutions métiers » (sic) ; c’est aussi une agence de création sur la Toile.

La SQLI : une entreprise mondialisée travaillant de manière privilégiée pour le secteur public
Société mondialisée, la SQLI travaille pour de grandes entreprises mais aussi et surtout pour le secteur public : les hôpitaux, la Banque de France, l’Institut de recherche et de sûreté nucléaire (IRSN), les ministères et l’Armée ; la SQLI vient d’obtenir la réalisation du portail de l’Armée de l’air qui concerne 75.000 militaires. Cette recherche stratégique des marchés publics s’explique, car, selon M. Yahya El Mir, « Il n’y a pas, dans ces domaines, d’impact de la conjoncture. »

M. Yahya El Mir en pointe dans la délocalisation
Un fait est toutefois surprenant : alors que la SQLI sollicite – avec succès – les administrations, les collectivités et les établissements publics locaux ainsi que l’Armée, c’est une société qui a été en pointe dans le mouvement d’ « offshoring » : comprendre la délocalisation hors des frontières françaises des tâches et des emplois.
Dans une étude sur la multiplication des sites d’emplois délocalisés, le site Internet spécialisé ZDNET notait dès octobre 2006 que : « SQLI a été l'une des premières sociétés de service informatique de taille moyenne à prendre cette voie, son président Yahya El Mir jugeant cette évolution incontournable au sortir de la crise des années 2002/2003. »
Le 18 décembre 2007, M. Yahya El Mir confirmait ce point de vue et déclarait à Boursorama que : « Développer une activité offshore au Maroc » était « clairement une priorité d’autant que nous avons désormais la courbe d’expérience suffisante pour accélérer ce développement. Je rappelle que nous étions parmi les premiers à initier l’offshore et nous allons en récolter les fruits à partir de maintenant. Nous visons à faire passer la part de l’effectif offshore dans l’intégration de 10 % actuellement à environ 40 % dans les trois années qui viennent, soit un effectif à terme d’environ 500 personnes
».


2

Il est pour le moins emblématique que le réalisateur du site de « débat sur l’identité nationale » soit… une société mondialisée dirigée par un patriote… marocain ! Ce qui conduit à se poser une question : jusqu’où la mondialisation est-elle compatible avec l’identité nationale ? « La crise : une carte à jouer pour le Maroc »

Plus récemment encore, la revue Jeune Afrique du 24 février 2009 notait : « Même optimisme dans l’offshoring (externalisation de services informatiques). Avec ses 150 centres d’appel, le Maroc conserve ses atouts. » Pour Yahya El Mir, « la crise peut être une opportunité » car, « les entreprises françaises vont vouloir réduire leurs coûts, ce qui frappera les systèmes d’information. C’est là que le Maroc a une carte à jouer. » La délocalisation des emplois français au Maroc a ici deux causes : - la logique du capitalisme mondialisé conduisant à toujours chercher une main-d’oeuvre à bas coût ; - les sentiments patriotiques d’un ressortissant marocain se réjouissant que la crise puisse contribuer, en accélérant le mouvement de délocalisations, au développement économique de son pays. Tout ceci est bien naturel. Patriote marocain d’un côté, non-patriote français de l’autre Ce qui l’est peut-être moins, c’est que les dirigeants français - hommes politiques, hauts fonctionnaires, militaires de haut rang - soient si peu conscients des intérêts stratégiques globaux de la France ; et qu’il n’y ait pas l’ombre d’un soupçon de patriotisme économique chez eux. Ce qui est choquant, ce n’est pas que M. Yahya El Mir soit un patriote économique marocain ; c’est que MM. Besson et Morin (le ministre de la Défense), eux, ne soient pas des patriotes économiques français. Et ce qui reste à tout le moins symbolique, c’est que le site de « débat sur l’identité nationale » ait été confié à une société promouvant les délocalisations d’emplois et dirigée par un patriote étranger. Il est pour le moins emblématique que le réalisateur du site de « débat sur l’identité nationale » soit… une société mondialisée… dirigée par un patriote… marocain. Ce qui conduit à se poser une question : jusqu’où la mondialisation est-elle compatible avec l’identité nationale ?

Vous êtes ici : Accueil Tribunes AFFAIRE YAHYA EL MIR : QUAND LES CHOIX GOUVERNEMENTAUX ENCOURAGENT LES DÉLOCALISATIONS