L’ISLAM, LES FEMMES ET LA FRANCE

L’ISLAM, LES FEMMES ET LA FRANCE

Par Eric Letty Rédacteur en chef de Monde et Vie

 

L’islam cultive vis-à-vis des femmes des conceptions qui ne cadrent pas avec la tradition française, ni dans son héritage chrétien, ni dans son acception laïque. Sur cette divergence se cristallise le rejet de notre société par les musulmans les plus attachés à leur religion.
Avril 2004, le mensuel Lyon-mag publie un entretien avec l’imam de Vénissieux, Abdelkader Bouziane. A la question : « Etes-vous pour la lapidation des femmes ? », celui-ci répond sans détour : « Oui, car battre sa femme est autorisé par le Coran ». Au cours du même entretien, il ajoute que la femme n’est pas l’égale de l’homme et souhaite l’instauration d’une république islamique en France. Expulsé vers l’Algérie le 20 avril, en vertu d’un arrêté d’expulsion pris à son encontre dès février 2004, le saint homme est de retour en France le 22 mai, l’arrêté d’expulsion qui le frappait ayant été suspendu par la cour administrative d’appel. Il explique alors que le journaliste de Lyon-Mag a travesti ses propos, et qu’il ignorait d’ailleurs le sens du mot « lapidation » lorsque l’entretien a été réalisé. A quoi le directeur de Lyon-Mag répond : « Abdelkader Bouziane est en France depuis 23 ans. Il comprend très bien le français, connaît le Coran. Il ne va pas nous faire croire qu'il ne comprend pas ce que signifie le mot lapidation. Ce que l'imam Bouziane dit, cela fait vingt ans qu'il le prêche dans les banlieues ». Finalement, Bouziane sera de nouveau expulsé en octobre 2004. Mauvais exemple d’un imam solitaire, vindicatif et exalté ?
On ne peut soupçonner Hani Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères musulmans en Egypte et directeur du Centre islamique de Genève, de ne pas connaître le français, puisqu’il l’enseigne ! En septembre 2002, il déclarait pourtant dans Le Monde : « La lapidation est terrible, tout comme le sida. Mais elle est à la mesure d'une faute qui est d'une gravité extrême. (...) En outre, la nature de la peine correspond à la nature du péché : la main coupée pour le vol, la lapidation pour le plaisir illégitime. Elle constitue une punition, mais aussi une forme de purification ». La déclaration fit, à l’époque, quelque bruit.

La France ou la tradition maghrébine

La lapidation n’est que l’arbre, certes géant, qui cache la forêt pour le moins broussailleuse des relations entre l’islam et les femmes. Non sans raison, la société française pressent que cette questionlà reflète le rapport que les musulmans entretiennent avec notre civilisation. Il est symbolique qu’en mai 1958, sur le forum d’Alger, les Algériennes aient brûlé leurs voiles pour manifester leur attachement à la France ; il ne l’est pas moins que, depuis vingt ans, le voile islamique soit devenu l’emblème de la résistance des musulmanes non seulement à la laïcité, ce qui serait un moindre mal, mais à la culture française en général, qui risquerait de couper les musulmanes de leurs racines et de leur religion.
« Quand on est née en France de parents marocains, on vit entre deux mondes, deux cultures, deux religions, deux traditions », témoigne, dans la revue Monde et Vie, Leila, auteur de Mariée de force (J’ai lu, 2004) : « D’un côté la France, qui porte des valeurs de liberté ; de l’autre, la tradition maghrébine, dans laquelle la femme est destinée à devenir une bonne épouse cantonnée aux tâches ménagères. » Les pères, les frères, les familles entières exercent sur les femmes une pression énorme pour que leur choix se porte sur leur tradition, pression d’autant plus forte qu’elles portent l’honneur de la famille. Si une jeune femme n’est pas vierge le jour de son mariage, son père et sa famille sont déshonorés.
Ce choix de la tradition – et de la soumission – revient à se soumettre en toute chose à la volonté des hommes, le père d’abord, le mari ensuite. C’est ainsi que Leila a été mariée de force à un Marocain qu’elle n’avait jamais vu. « Lui gagnait sur tous les tableaux, raconte-t-elle dans Monde et Vie : j’étais jeune, pas mal physiquement, cultivée, j’avais un travail et surtout la nationalité française… Et je n’étais pas vendue trop cher. Il y a toujours une dot, qu’on négocie. » De telles unions, en France, sont plus nombreuses qu’on ne le pense : « Il ne faut pas croire que les mariages forcés soient exceptionnels, poursuit-elle. J’en ai vu deux où les mariées étaient âgées de seize ans. (…) Même si beaucoup de jeunes femmes musulmanes souffrent de ne pas pouvoir vivre comme elles le souhaitent, elles sont encore nombreuses à considérer le mariage comme la seule solution pour échapper à l’autorité paternelle et devenir plus libre, sans se rendre compte qu’elles passent sous l’autorité maritale, guère moins rigide. » Et cette autorité s’exprime au besoin par des arguments frappants : « Je me suis mise à fumer, à me maquiller, à sortir seule pour pousser mon mari au divorce, raconte encore Leila. Il fallait que la demande vienne de lui pour que mes parents l’acceptent. J’ai été considérée comme une traînée. Il me cognait dessus sans remords, car un imam lui avait dit qu’on peut battre sa femme ».

« Celles dont vous craignez les écarts, corrigez-les »
Cette condition de la femme musulmane tient-elle à la tradition ou à la religion ellemême ? Pour le savoir, le mieux est de consulter les textes sacrés de l’islam, et particulièrement le Coran, auquel tout bon musulman doit conformer sa vie. Le texte sacré est moins répressif à l’égard des femmes que la Sunna (Tradition), la charia (loi islamique) ou le fiqh (jurisprudence musulmane). Il conseille de battre sa femme si elle n’est pas soumise, mais ne prévoit pas la lapidation des femmes adultères. C’est la Sunna qui en fait mention, dans des hadiths, censés rapporter des événements de la vie de Mahomet : un homme adultère est lapidé après avoir confessé quatre fois la même faute au prophète. Par la suite, le fiqh, jurisprudence islamique, réserva ce châtiment aux femmes, l’homme n’étant pas puni (il le reste cependant chez les chiites : en Iran, des hommes sont aujourd’hui condamnés à cette peine, au même titre que les femmes). Si le Coran consacre la supériorité des hommes, il assure cependant l’indépendance financière de la femme en la réputant créancière ou propriétaire de sa dot ; et protège son consentement au mariage, sauf si elle est mineure ou vierge : dans ce cas, son père ou son aïeul peut la marier sans son consentement. Le texte édicte par ailleurs que « les hommes ont la haute main sur les femmes selon la supériorité qu’Allah a donnée aux uns sur les autres et en compensation de ce qu’ils dépensent sur leurs biens. Les femmes vertueuses sont fidèles, conservatrices pour l’absence de ce qu’Allah conserve. Celles dont vous craignez les écarts, corrigez-les et isolez-les dans leur lit et frappez-les. Mais si elles vous obéissent, n’usez pas envers elles de répression. » Ainsi les femmes de La Mecque sont-elles bien tenues en main par leurs maris, qui les corrigent et les frappent, « mais avec plus de modération qu’ils ne font à leurs esclaves ou à leur chameau ».

Une pierre d’achoppement fondamentale
« Isoler » sa femme au lit pour la punir suppose que le mari s’abstienne lui aussi. L’exercice est évidemment plus commode si, comme le Prophète, il possède plusieurs femmes. On sait que Mahomet avait neuf femmes et cinq concubines, mais le Coran réduit le nombre de femmes que peut épouser le croyant – sans compter les concubines. L’époux doit veiller à maintenir une égalité de traitement entre ses épouses légitimes, en passant avec chacune d’entre elles le même nombre de jours et de nuit. Ce principe est d’ailleurs à l’origine d’une anecdote savoureuse et révélatrice : Mahomet épouse une veuve, Sauda bint Zama’a, qui n’est plus de la première jeunesse et à laquelle il trouve incommodant de réserver un jour – et surtout une nuit – alors qu’il a plusieurs jeunes femmes. Il pense à la répudier, mais elle préfère céder son jour à Aïcha, la préférée du prophète...
On trouve toujours un arrangement. Que conclure de ce bref regard sur le Coran et la tradition musulmane, sinon que ce sont bien eux qui inspirent les coutumes que nous évoquions plus haut. Reste à savoir comment ces coutumes et le mode de pensée qui les régit pourraient se concilier avec une société française que de nombreux musulmans rejettent, précisément au nom d’une supériorité supposée de l’islam sur une société laïque issue, même si elle veut l’oublier, d’une civilisation chrétienne.
Hidjab, burqa, refus de se dévoiler en classe ou lors des examens, demandes d’horaires réservés dans les piscines publiques, remise en question du contenu des programmes scolaires non conformes à ce qu’enseigne le Coran, mariages forcés, polygamie, attitudes méprisantes et parfois agressive des jeunes musulmans à l’égard des Françaises non musulmanes… La place de la femme dans la société est déjà devenue une pierre d’achoppement fondamentale entre l’islam et la société française.

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