LETTRE À M. BOUTEFLIKA, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE

LETTRE À M. BOUTEFLIKA, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE

par André Savelli,
Professeur agrégé du Val-de-Grâce,
citoyen français.

Les relations entre la France et l’Algérie sont toujours tumultueuses. D’un côté, une diplomatie algérienne extrémiste, agressive, demande sans cesse des excuses au pays qui lui a donné le jour, comme un adolescent se retournant contre ses parents, durant sa crise de l’âge ingrat ; de l’autre, des dirigeants français toujours prêts à battre leur coulpe, "oublient" tout ce que la France a apporté à ses colonies, sans jamais oser faire le constat lucide de ce que sont devenus ces pays à la suite de notre départ. Lettre ouverte à M. Bouteflika, qui n’a de cesse de salir la France pour faire oublier sa gestion catastrophique et la faillite de son pays.

Monsieur le Président, en brandissant l’injure du génocide de l’identité algérienne par la France, vous saviez bien que cette identité n’avait jamais existé avant 1830. M. Ferrat Abbas et les premiers nationalistes avouaient l’avoir cherchée en vain. Vous demandez maintenant repentance pour barbarie : vous inversez les rôles !
C’était le Maghreb ou l’Ifriqiya, de la Libye au Maroc. Les populations, d’origine phénicienne (punique), berbère (numide) et romaine, étaient, avant le VIIIe siècle, en grande partie chrétiennes (…). Ces régions agricoles étaient prospères. Faut-il oublier que les Arabes, nomades venant du Moyen-Orient, récemment islamisés, ont envahi le Maghreb et converti de force, « béçif » (par l’épée), toutes ces populations. « Combattez vos ennemis dans la guerre entreprise pour la religion… Tuez vos ennemis partout où vous les trouverez » (Coran, sourate II, 186-7). Ce motif religieux était élargi par celui de faire du butin, argent, pierreries, trésor, bétail, et aussi bétail humain, ramenant par troupeaux des centaines de milliers d’esclaves berbères ; ceci légitimé par le Coran comme récompense aux combattants de la guerre sainte (XLVIII, 19, 20). Et après quelques siècles de domination arabe islamique, il ne restait plus rien de l’ère punico-romano-berbère si riche, que des ruines (selon Abder-Rahman ibn Khaldoun el Hadrami, Histoire des Berbères, T I, 1382).
Faut-il oublier aussi que les Turcs Ottomans ont envahi le Maghreb pendant trois siècles, maintenant les tribus arabes et berbères en semi-esclavage, malgré la même religion, les laissant se battre entre elles et prélevant la dîme, sans rien construire en contrepartie ?
Faut-il oublier que ces Turcs ont développé la piraterie maritime, en utilisant leurs esclaves ? Ces pirates barbaresques arraisonnaient tous les navires de commerce en Méditerranée, permettant, outre le butin, un trafic d’esclaves chrétiens, hommes, femmes et enfants. Dans l’Alger des corsaires du XVIe siècle, il y avait plus de 30.000 esclaves enchaînés. D’où les tentatives de destruction de ces bases depuis Charles Quint, puis les bombardements anglais, hollandais et même américain… Les beys d’Alger et des autres villes se maintenaient par la ruse et la force, ainsi celui de Constantine, destitué à notre venue, ayant avoué avoir fait trancher 12.000 têtes pendant son règne.
Faut-il oublier que l’esclavage existait en Afrique depuis des lustres et existe toujours ? Les familles aisées musulmanes avaient toutes leurs esclaves africains. Les premiers esclavagistes, Monsieur le Président, étaient les négriers noirs eux-mêmes qui vendaient leurs frères aux musulmans du Moyen-Orient, aux Indes et en Afrique (…), des siècles avant l’apparition du commerce triangulaire avec les Amériques et les Antilles.
Faut-il oublier qu’en 1830 les Français sont venus à Alger détruire les repaires barbaresques ottomans qui pillaient la Méditerranée, libérer les esclaves et, finalement, affranchir du joug turc les tribus arabes et berbères opprimées ? Faut-il oublier qu’en 1830 il y avait à peu près 5.000 Turcs, 100.000 Koulouglis, 350.000 Arabes et 400.000 Berbères dans cette région du Maghreb où n’avait jamais existé de pays organisé depuis les Romains ? Chaque tribu faisait sa loi et combattait les autres, ce que l’Empire Ottoman favorisait, divisant pour mieux régner.

La France a laissé une Algérie riche
Faut-il oublier qu’en 1830 les populations étaient sous-développées, soumises aux épidémies et au paludisme ? Les talebs les plus évolués qui servaient de « toubibs » (les hakems), suivaient les recettes du grand savant « Bou Krat » (ou plutôt Hippocrate), vieilles de plus de 2.000 ans. La médecine avait quand même sérieusement évolué depuis !
Faut-il oublier qu’à l’inverse du génocide, ou plutôt du massacre arménien par les Turcs, du massacre amérindien par les Américains, du massacre aborigène par les Anglais et du massacre romano-berbère par les Arabes, entre l’an 700 et 1500, la France a soigné, grâce à ses médecins (militaires au début puis civils) toutes les populations du Maghreb, les amenant de moins d’un million en 1830 en Algérie, à dix millions en 1962 ?
Faut-il oublier que la France a respecté la langue arabe, l’imposant même au détriment du berbère, du tamashek et des autres dialectes ? Qu’elle a respecté la religion (ce que n’avaient pas fait les Arabes, forçant les Berbères chrétiens à s’islamiser pour ne pas être tués, d’où le nom de « Kabyle » : « j’accepte »).
Faut-il oublier qu’en 1962 la France a laissé en Algérie, malgré des fautes graves et des injustices, une population à la démographie galopante souvent encore trop pauvre - il manquait du temps pour passer du moyen âge au XXe siècle -, mais en bonne santé, une agriculture redevenue riche grâce aux travaux des Jardins d’essais, des usines, des barrages, des mines, du pétrole, du gaz, des ports, des aéroports, un réseau routier et ferré, des écoles,un Institut Pasteur, la poste, des hôpitaux et une université… ? Il n’existait rien avant 1830. Cette mise en place d’une infrastructure durable, et le désarmement des tribus, a été capital pour l’Etat naissant de l’Algérie.
Faut-il oublier que les colons français ont asséché, entre autres, les marécages de la Mitidja, y laissant de nombreux morts, pour en faire la plaine la plus fertile d’Algérie, un grenier à fruits et légumes, transformée, depuis leur départ, en zone de friche industrielle ?
Faut-il oublier que la France a permis aux institutions de passer, progressivement, de l’état tribal à un Etatnation, et aux hommes, de la sujétion à la citoyenneté en construction, de façon, il est vrai, insuffisamment rapide ? La colonisation a projeté le Maghreb, à travers l’Algérie, dans l’ère de la mondialisation.
Faut-il oublier qu’en 1962 un million d’Européens ont dû quitter l’Algérie, abandonnant leurs biens pour ne pas être assassinés ou, au mieux, devenir des habitants de seconde zone, des « dhimmis », méprisés et brimés, comme dans beaucoup de pays islamisés ? Il en est de même de 100.000 israélites, dont nombre d’ancêtres s’étaient pourtant installés, là, 1000 ans avant que le premier Arabe musulman ne s’y établisse. Etait-ce une guerre d’indépendance ou encore de religion ?
Faut-il oublier qu’à notre départ, en 1962, outre au moins 75.000 Harkis, sauvagement assassinés, véritable crime contre l’humanité, et des milliers d’Européens tués ou disparus - après ou avant, il est vrai, les excès de l’O.A .S. -, il y a eu plus de 200.000 tués dans le peuple algérien, qui refusait un parti unique, soit beaucoup plus que pendant la guerre d’Algérie ? C’est cette guerre d’indépendance, avec ses cruautés et ses horreurs de part et d’autre, qui a fondé l’identité algérienne. Les hommes sont ainsi faits !
Monsieur le Président, vous savez que la France forme de bons médecins, comme de bons enseignants. Vous avez choisi, avec votre Premier ministre, de vous faire soigner par mes confrères du Val-de-Grâce. L’un d’eux, Lucien Baudens, créa la première Ecole de médecine d’Alger en 1832, insistant pour y recevoir des élèves autochtones. Ces rappels historiques vous inciteront, peut-être, Monsieur le Président, à reconnaître que la France vous a laissé un pays riche, qu’elle a su et pu forger, grâce au travail de toutes les populations, des plus pauvres aux plus aisées - ces dernières ayant souvent connu des débuts très précaires. La France a aussi créé son nom, qui a remplacé celui de Barbarie. Personne ne vous demandera de faire acte de repentance pour l’avoir laissé péricliter, mais comment expliquer que tant de vos sujets, tous les jours, quittent l’Algérie pour la France ?
En fait, le passé, diabolisé, désinformé, n’est-il pas utilisé pour permettre la mainmise d’un groupe sur le territoire algérien ? Je présente mes respects au Président de la République, car j’honore cette fonction...

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