Désinformation sur la Turquie : le cas de Didier Billion

Désinformation sur la Turquie : le cas de Didier Billion

Depuis 1990, le Club de l'Horloge attribue chaque année le “prix Lyssenko” à un auteur ou une personnalité qui a, par ses écrits ou par ses actes, apporté une contribution exemplaire à la désinformation en matière scientifique ou historique, avec des méthodes et arguments idéologiques. En 2004, cet antiprix a été a déscerné à Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) pour son analyse des rapports entre la Turquie et l’Europe. Nous avons décidé de publier ci-après un extrait du rapport qui lui a été consacré, parce qu’il permet de démonter les principaux mensonges diffusés par le parti «pro-turc».

Dans une série de textes publiés en 2004 à l’appui de la candidature turque, Didier Billon a donné une formulation claire et caricaturale à trois grandes thèses sophistiques que l’on trouve disséminées chez de nombreux auteurs du clan pro-turc, et que l’on peut résumer ainsi : (1) l’histoire de la Turquie en fait une nation européenne ; (2) la révolution kémaliste a fait de la Turquie une nation occidentale ; et (3) l’islam n’est pas un obstacle entre la Turquie et l’Europe. […] Dans le cadre de l’Institut de relations internationales et stratégiques (I.R.I.S.), dont il est directeur adjoint, et en collaboration avec le Centre pour la recherche stratégique d’Ankara, il a organisé le 6 avril 2004, à Paris, des “Rencontres stratégiques franco-turques”, sous le haut patronage du président Chirac et de son homologue turc, M. Ahmet Necdet Sezer, dont il a publié les actes sous le titre : “La Turquie - vers un rendez-vous décisif avec l’union européenne”. L’introduction de cet ouvrage, signée par notre lauréat, porte un titre sans équivoque : “L’UE doit ouvrir des négociations d’adhésion avec la Turquie”. […]

Premier sophisme : l’histoire de la Turquie en fait une nation européenne
I - Les Turcs et le monde turc
[…] Le Premier ministre Süleyman Demirel (qui devint ensuite président de la République) évoquait, en mai 1992, cinq ans après le dépôt de la candidature de son pays à l’Union européenne, “un monde turc (qui s’étend) de l’Adriatique à la muraille de Chine”. C’est dire que la nation dont on discute l’adhésion n’est qu’une partie d’un ensemble beaucoup plus vaste. La République de Turquie (70 millions d’habitants), dont le territoire s’étend principalement en Asie mineure, encore appelée Anatolie, ainsi que sur une petite partie du continent européen, la Thrace orientale, n’est que l’un des six Etats turcs ou turcophones. Les autres, tous issus de l’ex- U.R.S.S., sont l’Azerbaïdjan (8 millions d’habitants), le Turkménistan (5 millions), l’Ouzbékistan (24 millions), le Kirghizistan (5 millions), le Kazakhstan (15 millions). Sauf au Kazakhstan, la très grande majorité de la population de ces six républiques turques est de langue et d’ethnie turque. Mais il y a aussi beaucoup de Turcs dans d’autres pays. Ils forment ainsi le quart de la population de l’Iran, soit quelque 18 millions de personnes, principalement des Azéris. Les Ouïgours sont 8 millions dans le Sin-Kiang annexé par laChine. La Russie compte 12 millions de Turcs. Les Turcs sont aussi 1 million en Bulgarie. Et, bien entendu, l’immigration en a fait venir au XXe siècle plusieurs autres millions d’Anatolie en Europe occidentale (3 millions en Allemagne). Au total, il y a donc environ 170 millions de Turcs dans le monde, dont un gros tiers dans la République anatolienne, capitale Ankara, un tiers dans les cinq autres Etats turcs indépendants, et un tiers dans des Etats non turcs. […] Jean-Paul Roux, auteur d’une magistrale Histoire des Turcs, qui nous signale au passage que le mot “turc” signifie “fort” dans la langue des Turcs, attribue à ceux-ci des traits constants, des comportements permanents à travers les âges, et notamment “(un) esprit militaire accentué et (les) vertus qui y répondent : goût de l'offensive, solidarité entre combattants, obéissance absolue au chef, mépris de sa vie et de celle des autres” […] Les Turcs sont donc un peuple conquérant dans l’âme. […] Quand le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, est rentré dans son pays, en décembre 2004, après la décision du Conseil européen d’ouvrir des négociations d’adhésion, les journaux turcs ont titré sur “Erdogan le Conquérant”... […]. Craignons donc qu’une Turquie, devenue Etat membre, s’appuyant sur son poids démographique, qui doit la faire passer prochainement devant l’Allemagne, ne nous dicte sa loi au sein des institutions européennes.
II - Les Turcs et l’empire ottoman
Bien que la révolution kémaliste, à la fin de la Première guerre mondiale, l’ait poussée à rompre avec son passé impérial, la république de Turquie est l’héritière de l’empire ottoman, réduit à son noyau ethnique. Dans sa réinterprétation de l’histoire ottomane, D. Billion va très loin dans la mystification. “Il convient, dit-il, de se réapproprier le sens réel de l’histoire turque. Il nous apparaît comme un des traits essentiels de sa compréhension de saisir ce que l’on pourrait qualifier d’irrésistible attraction vers l’Occident, c’est-à-dire cette marche séculaire et continuelle vers l’ouest. Il est aussi particulièrement remarquable que l’empire ottoman se présente comme le légataire et la prolongation de l’empire byzantin.” Le tour de bonneteau consiste ici à présenter les innombrables guerres de conquêtes menées par les Turcs, en Europe, sous l’empire ottoman, avec leur cortèges de massacres, comme une “attraction” à laquelle notre lauréat donne une signification toute Désinformation sur la Turquie : le cas de Didier Billion spirituelle. Il n’est même pas besoin d’avoir lu le beau livre du professeur Jacques Heers, Chute et mort de Constantinople, pour imaginer l’horreur des massacres qui ont suivi la prise de l’antique Byzance (Constantinople) par les Turcs, en 1453, après une héroïque résistance. Or, s’il est vrai que les empereurs ottomans ont pu arguer du fait qu’ils avaient pris Constantinople, devenue Istamboul (Istanbul), pour s’arroger une certaine légitimité aux yeux des anciens sujets de l’empereur byzantin, il est faux qu’ils se soient présentés comme leurs successeurs. Il y a, de Rome à Constantinople, une continuité politique et juridique. Il y a, au contraire, entre Constantinople et Istanbul, une césure, puisque le monarque turc se prétend le calife, c’est-à-dire le successeur de Mahomet, maître légitime de l’ Oummah, la Cité islamique, qui a vocation à s’étendre sur le monde entier. L’empereur des musulmans n’est pas celui des chrétiens, qui sont réduits au statut de dhimmis.
[…] Il est évident, en tout cas, que la Turquie a depuis longtemps des ambitions européennes, qui remontent au XIe siècle, lorsque les Turcs de la dynastie seljoukide battent les Byzantins, à la bataille de Mantzikert (1071). Il est donc vrai que les Turcs, animés par l’esprit de conquête, ont lié leur histoire à celle de l’Europe. […] On peut comprendre, avec tous ces souvenirs, aussi glorieux que tragiques, ceux qui veulent que l’Union européenne établissent avec la Turquie un “partenariat privilégié”, pour éloigner le spectre de la guerre et pour que des relations pacifiques puissent se développer avec ce grand pays, dont on ne peut ignorer la présence massive et redoutable, aux limites de l’Europe. Mais on ne peut pas, sans inconscience, donner à la Turquie les clés de l’Europe, en la faisant entrer dans l’Union.

Deuxième sophisme : la révolution kémaliste a fait de la Turquie une nation occidentale
Mustapha Riza dit Mustapha Kemal (“le Brillant”) dit encore Atatürk (“Le Turc-Père”), a révolutionné son peuple, en prenant appui sur le mouvement de réforme que l’empire avait connu au XIXe siècle (les tanzimat) et qui avait abouti à la révolution des Jeunes Turcs, en 1908. La Turquie était un empire, il en a fait une nation. Atatürk s’est employé, avec acharnement, à désislamiser la Turquie, sans pouvoir y parvenir complètement. Mais, en Depuis 1990, le Club de l'Horloge attribue chaque année le “prix Lyssenko” à un auteur ou une personnalité qui a, par ses écrits ou par ses actes, apporté une contribution exemplaire à la désinformation en matière scientifique ou historique, avec des méthodes et arguments idéologiques. En 2004, cet antiprix a été a déscerné à Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) pour son analyse des rapports entre la Turquie et l’Europe. Nous avons décidé de publier ci-après un extrait du rapport qui lui a été consacré, parce qu’il permet de démonter les principaux mensonges diffusés par le parti «pro-turc».
combattant les influences arabo-persanes, sa révolution a réenraciné la Turquie dans ses origines touraniennes, et donc asiatiques. […] Le sociologue turc Ziya Gökalp (mort en 1924), qui fut le principal idéologue du “turquisme”, demandait un retour aux valeurs turques, par opposition tant à celle de l’empire cosmopolite des Ottomans qu’à celles de l’Occident. « Il distingue,écrit Thierry Zarcone, pour chaque société une culture (hars) et une civilisation (medeniyet) ; c’est-à-dire, en ce qui concerne l’empire, une culture “turque” et une civilisation “ottomane”. Il importe alors, pour lui, de rechercher la culture turque derrière le vernis de la religion, dans la littérature populaire, dans l’art, dans l’artisanat, dans les coutumes. » Il veut donc communiquer à ses contemporains la passion romantique du passé turc ou “touranien”, qui rattache les habitants d’Istanbul au vaste univers ouraloaltaïque. Et il écrit ce poème fameux, intitué Touran : “Pour les Turcs, la patrie n’est pas la Turquie ni le Turkestan, / La Patrie est un immense pays éternel... Le Touran. ”
Mis à part une frange cosmopolite de la population, qui vit principalement à Istanbul, l’occidentalisation de la Turquie est superficielle, car Mustapha Kemal a plutôt cherché à moderniser et à “touraniser” son pays qu’à l’occidentaliser. Du reste, le plus zélé des dictateurs n’a pas le pouvoir de changer l’âme d’un peuple, c’est-à-dire sa culture, il ne peut transformer que sa civilisation.

Troisième sophisme : l’islam n’est pas un obstacle entre la Turquie et l’Europe
On sait que la Turquie actuelle connaît un retour en force de l’islam, et que son Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, est un “islamiste modéré”, comme disent les journaux, qui ne craignent pas cet oxymore.En effet, quoi qu’en ait pensé Mustapha Kemal, il est bien difficile de séparer la Turquie de l’islam. Tous les peuples turcs, de par le monde, sont aujourd’hui musulmans, à deux minuscules exceptions près : les Gagauz de Moldavie, qui sont chrétiens, et les Yakoutes de Sibérie, qui sont chrétiens et chamanistes. Cela semble montrer que l’identité turque s’accorde bien avec la foi du prophête Mahomet, puisque les Turcs ont formé de nombreux peuples, ont occupé et occupent encore d’immenses territoires, et ont été en contact intime avec toutes les grandes religions : le christianisme (dans ses variétés orthodoxes, monophysites, nestoriennes), le judaïsme, l’hindouisme, le bouddhisme... Aucune autre que l’islam ne les a retenus.
Paradoxalement, la révolution kémaliste, qui devait éloigner la Turquie de l’islam, s’est traduite par l’élimination des minorités chrétiennes - Grecs, Arméniens, Levantins... - , en sorte que la Turquie est aujourd’hui presque totalement musulmane […]. La “laïcité” à la turque ne signifie d’ailleurs nullement que l’Etat soit neutre à l’égard des religions ni que celles-ci soient indépendantes de l’Etat. Le culte musulman est subordonné à l’Etat, et il est privilégié par rapport aux autres cultes, qui sont tout juste tolérés. […]
Mais, pour notre lauréat, l’islam n’est pas du tout un problème !
“Finalement,affirme-t-il, la question religieuse, l’islam politique pour parler clairement, est un non-problème, puisque, acceptant le système parlementaire, il s’est intégré et banalisé dans le jeu politique.” […] D. Billion, comme avant lui Gilles Kepel (lauréat du “prix Lyssenko” en 2001), se moque du monde, quand il se prend à rêver de la démocratie musulmane dont il prophétise l’avènement en Turquie, alors que c’est une contradiction dans les termes. Le parti de la justice et dudéveloppement (AKP), celui du Premier ministre Erdogan, lui paraît un modèle : « L’AKP, créé sur les cendres d’une formation islamiste, a su réaliser sa mue et peut désormais être qualifié d’islamo-conservateur ou de démocrate-musulman. N’en déplaise à certains, rien ne permet aujourd’hui de fantasmer sur un hypothétique “agenda caché” islamiste. » Nous ne connaissons pas l’agenda caché de M. Erdogan, s’il existe, et il est fort douteux, en effet, que le Premier ministre turc ait connu un plan trop rigide. Mais son objectif demeure sans nul doute, puisque c’est un pieux musulman et un militant de l’islam, de rétablir le règne de la charia dans son pays. Sans “fantasmer”, il n’est pas interdit de se souvenir que l’islam est très réaliste et qu’il fait une doctrine de la dissimulation ( taqiyeh), que tout bon musulman a le devoir de pratiquer, le cas échéant, pour garder le secret ( ketman) sur ce qu’il a pour objectif de réaliser dans l’intérêt de l’islam. Autrement dit, l’hypocrisie et le mensonge, qui sont un péché pour un chrétien, sont au contraire recommandés comme une vertu par l’islam, lorsque le rapport de forces les rend nécessaires. Il y a donc fort à parier que les islamistes turcs utilisent l’Europe, et les pressions qu’elle exerce sur la Turquie pour que celle-ci se démocratise, afin de se libérer de la tutelle des militaires, gardiens de l’orthodoxie kémaliste et de la laïcité […].

La version complète de ce texte peut être consultée sur le site internet du Club de l’Horloge : www.clubdelhorloge.fr

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