Europe contrat ou Europe identité?

Europe contrat ou Europe identité?


Par Pierre de Meuse,

essayiste et écrivain


Alors que Valéry Giscard d'Estaing vient de remettre son projet de constitution européenne, il n'est pas inutile de se pencher sur les fondements que l'on veut donner à la construction européenne. Pour l'essayiste et écrivain Pierre de Meuse, deux conceptions antagonistes s'affrontent à cette occasion : soit l'Europe-contrat qui ignore les racines de nos peuples, soit l'Europe-identité assise sur les réalités historiques, géographiques et ethniques. Comme en témoigne la volonté non démentie d'intégrer la Turquie dans l'Union et le refus de se référer aux racines chrétiennes de l'Europe dans le préambule de la Constitution, c'est, hélas, la première conception qui prévaut aujourd'hui.

La candidature de la Turquie à l'Union européenne, malgré l'arrogance de l'impétrant et de son tout puissant parrain, a au moins un mérite : elle oblige à se demander quels sont les critères discriminants qui président à la fondation d'un État fédéral de plusieurs centaines de millions d'hommes, dont nous faisons partie. Elle nous fait pointer du doigt cette incroyable réalité : voici cinquante ans qu'une construction juridique se bâtit avec pour objectif avoué de remplacer les Etats qui ont fait notre Histoire millénaire, et l'on ne sait pas du tout qui a vocation à faire partie de cet ensemble. La demande turque est donc le révélateur d'un dilemme fondamental, sur lequel aucune autorité n'ose se prononcer.

Ou bien, en effet, l'Europe n'est qu'une création de la volonté, dans laquelle l'Histoire, les cultures, les traditions, le reçu, en un mot, n'a aucune part, et alors on peut appeler Europe n'importe quoi, et toutes les nations du monde peuvent postuler à leur participation au club, ou, au contraire, elle ne peut que se couler dans un moule préexistant, sur la nature duquel on peut émettre des opinions diverses, mais qui viennent lui apporter des limites et, bien entendu, des frontières.

Dans le premier cas, on calque sur nos vieux pays le modèle jeffersonien, fondé sur le contrat. Dans le second, on reprend d'une manière ou d'une autre un modèle propre à l'Europe, et qui place sa finalité en elle-même.

Or les fondateurs de l'Europe se sont bien gardés d'opter pour l'une ou l'autre de ces définitions. Ils ont posé comme critères discriminants des règles juridiques et économiques: la Démocratie, les Droits de l'Homme, l'économie libérale, la participation au bloc atlantique. Le problème est que toutes ces conditions n'appartiennent nullement en propre à l'Europe, mais ont une valeur universelle. En limitant les conditions d'accès à ces "valeurs", et à elles seules, l'entité européenne en gestation s'expose immanquablement à n'être qu'un relais du mondialisme, et donc à perdre sa substance.

Si l'on veut échapper à cet abîme, il faut rejeter la théorie du contrat. Cependant, nous ne sommes pas pour autant tirés d'affaire, car l'Histoire et la culture européennes sont diverses et les Européens se sont ingéniés au cours des siècles, pour étendre leur puissance, à affirmer qu'ils étaient porteurs d'un message universel : l'héritage de l'Empire romain, le christianisme, le génie grec sont présentés comme destinés à tous les hommes, et les humains étrangers à l'Europe trouvent toujours une oreille complaisante en nous retournant notre discours pour nous extorquer les avantages d'une identité qu'ils se soucient peu d'assumer.

Il ne nous reste que deux critères véritablement discriminants : la géographie et l'origine ethnique. Si l'Europe veut exister, elle ne peut bâtir que sur ces deux biens qui n'appartiennent qu'à elle, à condition de les concevoir d'une manière large et sans mesquinerie, s'appuyant et s'autolimitant l'un par l'autre.

Géographiquement, notre terre promise va du Groënland au Kamchatka ; ethniquement, notre peuple comprend, sur ce territoire, tous les descendants des tribus qui vivaient dans la zone des steppes du Caucase à la Baltique et dont les vagues successives ont stratifié les langues que nous parlons et les cultures que nous perpétuons [...].

Auteur de nombreux articles, notamment parus dans la revue Identité, Pierre de Meuse a publié récemment un stimulant dialogue philosophique : Essai sur les contradictions de la droite, dialogue avec les hommes de ma tribu, Editions de 1'AEncre, 2002, 19 euros. Le présent texte a été initialement publié dans la revue Relève politique. (BP 25, 75518 Paris cedex 15)
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