Jean-Paul II béatifie "le saint du choc des civilisations"

Jean-Paul II béatifie "le saint du choc des civilisations"


Par Pierre-Alexandre Bouclay,

historien,
rédacteur en chef adjoint du magazine "Aventures de l'histoire"


La béatification du capucin Marco d'Aviano, en avril dernier, a déclenché des polémiques. En honorant cet adversaire de l'islam, Jean-Paul II aurait eu l'intention de nommer un saint patron du choc des civilisations.
Au XVIIe siècle, le capucin Marco d'Aviano s'est vigoureusement opposé à l'"offensive de l'islam" menée par l'empire ottoman en Europe centrale. Dans un contexte international brûlant, sa béatification le 27 avril 2003 a fait dire à une presse musulmane très susceptible que Jean-Paul II s'opposait à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Elle lui prête même l'intention de nommer un saint patron du choc des civilisations. Position exagérée, dirons certains. Mais si c'était vrai ?
Marco d'Aviano, de son vrai nom Carlo Cristofori, naît le 17 novembre 1631 à Aviano, dans le Frioul. Il est ordonné prêtre en 1655.
En 1680, il devient conseiller spécial de l'empereur Léopold 1er, tandis que le sultan Mohammed IV prépare activement le Djihad : la guerre sainte. Il confie la bannière du Prophète au grand vizir Kara Mustafa, chargé de fonder un empire islamique en Europe. C'est lors du siège de Vienne que Marco D'Aviano devient la cheville ouvrière d'une Sainte-Alliance chrétienne. C'est lui qui, alors que la charia prend la place du Décalogue dans les terres d'Europe, prêche la croisade pour arrêter les musulmans et délivrer les chrétiens. Le 12 septembre 1683, l'armée de secours s'apprête à briser le siège de Vienne. Durant la messe, Marco d'Aviano galvanise, dans un sermon brûlant, les soixante-dix mille soldats du Christ qui doivent vaincre les cent cinquante mille guerriers d'Allah.
Rapidement, la bataille fait rage. Le père d'Aviano, survolté, mène les chrétiens, brandissant un grand crucifix au cœur du combat. Les Turcs désertent finalement le champ de bataille, laissant derrière eux les rêves de "califat européen" de Kara Mustafa. Après la victoire, Marco d'Aviano encourage les chefs de la Sainte Alliance à poursuivre la libération de l'Europe jusqu'au bout.
Sa réputation de sainteté est plus forte que jamais; on lui prête de nombreux miracles. Même les Turcs redoutent le capucin qu'ils nomment "le puissant magicien".
Outre ces luttes militaires, Marco d'Aviano consacre beaucoup d'énergie à la Contre-Réforme. A Vienne, il n'hésite pas à porter la contradiction chez les luthériens ou à prêcher en public. A Augusta, place forte du luthéranisme, les autorités doivent céder à la population, avide d'entendre le "saint vivant". Les témoignages certifient que les conversions spontanées se comptent par centaines. Ces succès lui valent une rancœur tenace. Il devient la cible de pamphlets, d'agressions et de tentatives de meurtre.
Aujourd'hui encore, alors que Pie X l'a élevé au rang de "vénérable" en 1912, un premier projet de béatification en 1998 fut repoussé à cause de l'intervention de l'Eglise évangélique luthérienne de Vienne.
Ce projet semble toutefois justifié car, de son vivant, d'Aviano est déjà perçu comme un saint. Les journaux, les correspondances, les voyageurs évoquent sans cesse ses miracles. Le 9 juin 1681, à la fin d'un de ses sermons, l'assistance se jette sur lui pour une bénédiction et finit par s'arracher les lambeaux de son froc !
En 1699, le 13 août, quelques mois après la défaite des Turcs, le révérend père Marco d'Aviano meurt, à l'âge respectable de soixante-huit ans.

Dans le contexte international particulièrement sensible du début du XXIe siècle, Marco d'Aviano est surtout connu pour sa résistance aux invasions musulmanes en Europe. Sa détermination à mener les contre-attaques pour libérer les territoires occupés le font passer pour un ennemi de l'islam ; mais il n'a jamais préconisé d'offensive. L'empire ottoman, belliciste et musulman, ne cachait pas son intention de dominer l'Europe et de la convertir à l'islam dans le cadre d'un choc des civilisations que les musulmans avaient eux-même déclenché et auquel ils donnaient une réalité tangible en attaquant l'Occident. L'unique but de Marco d'Aviano fut de délivrer les chrétiens persécutés.
Le geste de Jean-Paul II n'est pas neutre, et il est normal que la presse musulmane s'indigne, c'est son rôle. Mais Marco d'Aviano doit plus être vu, à l'image de Jeanne d'Arc, comme un libérateur et un résistant que comme un adepte chrétien d'Oussama Ben Laden. En outre, ainsi que le disait récemment le pape au sujet de cette béatification, "le dialogue ne doit pas faire renoncer à son identité".

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