EMEUTES EN ANGLETERRE

La question raciale au coeur du problème

Par Lionel Humbert
Journaliste à Minute

On ne peut pas comprendre les émeutes qui ont embrasé le Royaume-Uni en août si l’on ne tient pas compte du facteur racial. Retour sur les événements.
Cinq morts, des centaines d’arrestations, des dizaines de policiers blessés, des commerces pillés et incendiés – dont le magasin Carpetright, l’équivalent de nos Galeries Lafayette –, un bilan prévisible de 100 millions de livres rien que dans le secteur de la distribution, des habitations livrées aux flammes, des bus, des camions de police et des voitures brûlés, des coups de feu tirés sur les « bobbies » : le quartier de Tottenham, au nord de Londres, puis d’autres quartiers de la capitale anglaise, ainsi que les villes de Birmingham, de Manchester et de Liverpool ont été au mois d’août

le théâtre de violences spectaculaires.
Ces émeutes ont eu pour origine la mort de Mark Duggan, Jamaïcain âgé de 29 ans et père de quatre enfants, tué par des policiers le 4 août, à Tottenham. A en croire les tenants de la « culture de l’excuse », ce brave garçon aurait été un bon père de famille ; les policiers, quant à eux, dressent le portrait d’un voyou chevronné et d’un trafiquant de drogue – ce qui n’exclut d’ailleurs pas qu’il ait pu avoir la fibre paternelle…
Duggan, alias Starrish Mark (« Marc la vedette ») était en réalité, à en croire le London Evening Standard, le meneur de l’une des douze bandes des tristement célèbres Tottenham Man Dem, bande ethnique elle-même dépendante des Yardies jamaïcains, dont l’emprise s’étend sur des milliers de membres de la diaspora jamaïcaine au R o y a u m e - U n i et aux Etats-Unis. Trafiquant de « crack » (dérivé de la cocaïne), il avait été placé sous surveillance par la police qui le soupçonnait de vouloir venger la mort d’un de ses cousins, lui aussi lié aux Yardies, assassiné dans une boîte de nuit en décembre 2011. Duggan aurait été chargé par la bande jamaïcaine de retrouver et de tuer les meurtriers. Selon la police, c’est lui qui, ce 4 août, ouvrit le feu premier, touchant en pleine poitrine un policier en civil ; ce dernier ne dut son salut qu’au poste de radio qu’il portait sous sa veste et qui arrêta la balle.


La population jamaïcaine du quartier de Tottenham organisa, le 7 août, contre cette prétendue « bavure » policière, une manifestation de protestation qui dégénéra vite en affrontements entre les forces de l’ordre et 300 jeunes noirs bien organisés et armés de barres de fer, de couteaux, voire de sabres, qui bombardèrent les policiers avec des pavés, fusées de détresse, cocktails Molotov, tandis que les commerces étaient pillés et les passants rançonnés. Les habitants des quartiers ethniques ont majoritairement pris parti pour les casseurs, pour de simples raisons d’appartenance raciale. Nous voilà loin des considérations sur le taux de chômage et le mal-être social des populations antillaises en Grande-Bretagne…
Les émeutes s’étendirent les jours suivants à d’autres quartiers du nord et du sud de Londres, puis à d’autres villes britanniques. A Birmingham – où une voiture fonça délibérément sur un groupe de jeunes Pakistanais qui tentaient de s’opposer aux pillages, tuant trois d’entre eux –, l’on put craindre des affrontements inter-communautaires.

« PUISQUE LES FLICS NOUS LAISSENT TOMBER… »
Au reste, les Pakistanais n’étaient pas seuls à organiser leur propre défense, pour pallier l’incapacité de la police anglaise à assurer le maintien de l’ordre. Des groupes d’auto-défense issus des milieux populaires, appelés « vigilants », se sont rapidement constitués. Natalia Vesna, envoyée spéciale de Minute en Angleterre, a rapporté les propos de certains d’entre eux, comme Marty, 32 ans, propriétaire d’un magasin de disques à Enfield, dans la banlieue nord de Londres : « Je n’aime pas l’idée de faire respecter l’ordre moi-même, dit-il, mais puisque les flics nous laissent tomber, il faut bien le faire. » « Vigilant » lui aussi, John, 45 ans, explique : « Nous sommes surtout là pour dissuader les pillards. En fait, nous avons eu quelques accrochages sérieux les 9 et 10 août, et puis ça s’est calmé, parce qu’ils ont vu qu’on les accueillait à la barre de fer et que s’ils voulaient vraiment nous voler, il allait falloir nous passer dessus. »
Ces « vigilants », issus de milieux populaires, n’ont pas manqué d’être dépeints par la presse correctement pensante comme des racistes. Le racisme, en réalité, était en face, comme l’a souligné dans le Telegraph l’intellectuelle Katharine Birbalsingh, elle-même d’origine indienne : « Nul n’osait dire l’indicible. Que les émeutiers étaient tous noirs, ou pratiquement. (…) Lorsque j’ai vu la première photo publiée de Mark Duggan, j’ai compris ce qu’instinctivement j’avais deviné la veille : des noirs ont encore mis Londres à feu et à sang ».
Pour terminer, quatre conclusions peuvent être tirées de ces émeutes. Premièrement, ce n’est pas le mal-être social des jeunes issus de milieux défavorisés qui est à l’origine des troubles, mais la volonté, de la part d’une bande de trafiquants, de décourager la police de mettre son nez dans ses trafics. Les Tottenham Man Dem n’en sont d’ailleurs pas à leur coup d’essai : ils étaient déjà à l’origine des émeutes raciales de 1985, au cours desquelles un policier fut tué par une quarantaine d’Antillais qui lui infligèrent 42 blessures, dont 8 coups de machette à la tête.
Deuxièmement, ces émeutes soulignent l’échec du modèle « communautariste » d’intégration – que prônait en France SOSRacisme, dont les patrons se trouvent aujourd’hui aux commandes du Parti socialiste. Les populations immigrées ne se sont pas assimilées et ne le feront sans doute jamais.
Troisièmement, le gouvernement anglais s’est laissé dépasser et la police anglaise n’était pas à la hauteur de la tâche. Le premier ministre, David Cameron, a déclaré qu’à l’avenir il n’hésiterait pas à faire appel à l’armée. C’est un faux-semblant : en Angleterre comme en France, les policiers ont les moyens d’assurer l’ordre, c’est une question de détermination politique. Enfin, de telles émeutes pourraient fort bien s’imaginer en France : il suffit, pour s’en convaincre, de se rappeler celles de 2005 – ou, plus récemment, les affrontements à Grenoble, après la mort d’un braqueur dans des circonstances assez semblables à celle de Mark Duggan.

 

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