L’IMPRÉCATEUR du métro

J’étais dans le métro de Paris, le mercredi 16 novembre après-midi, dans une rame de la ligne 13, celle qui dessert Châtillon et Saint-Denis. Un jeune homme d’environ vingt-cinq ans, assis sur un strapontin, habillé d’un survêtement gris clair et d’un blouson gris également, écouteurs aux oreilles et capuchon rabattu sur la tête, chantait en arabe, à très haute voix, un chant peut-être religieux : étaient-ce des versets du Coran ?
Comme c’est aujourd’hui habituel, personne ne semblait être incommodé par ces vocalises plus ou moins modulées, tous feignaient soit l’indifférence, soit la discrète sympathie. Soudain, le « jeune » s’est levé et s’est mis à apostropher les voyageurs. J’ai d’abord cru à une agression verbale, intimidante, puis je me suis très vite rendu compte de la clarté et de la précision de son propos : c’était la déclamation des raisons qui pousseraient, selon lui, les Arabes musulmans à conquérir la France.


D’abord est venue la culpabilisation de l’ancien colonisateur : « Vous, les Français, vous êtes venus nous chercher pour construire votre pays, pour nous envoyer à la guerre, mais vous n’en aviez rien à f… des Arabes, de mes frères ! Vous avez pillé nos richesses, mais maintenant on est là et c’est vous que l’on va piller ! »



Ensuite, l’attaque contre le christianisme : « Nous croyons en Dieu, nous les musulmans, mais vous, les chrétiens, vous blasphémez Dieu, car vous dites que Jésus est Dieu ! Les Juifs ne le disent pas, mais vous, les chrétiens, vous le dites et vous irez en enfer ! »
Puis contre la France et les Français : « Vous, les Français, vous êtes les pires des pays du monde (sic) : partout ailleurs, les femmes, elles peuvent porter le voile, mais vous, vous ne le voulez pas ! Mais nos femmes le porteront, le voile, en France, que vous vouliez ou pas (sic) ! Vous nous avez traités en esclaves, mais maintenant c’est bien fini ! Vous refusez de nous employer parce qu’on est arabes, mais vous serez obligés de vivre avec nous ! Vous dites que nous devons repartir, mais on ne repartira pas ! » D’autres propos, dont je ne me souviens plus de l’exacte teneur, mais de même facture, ont suivi. Le fond du propos était que la présence musulmane en France était un juste retour des choses et une victoire de la « vraie religion » sur les mécréants que nous serions, nous pauvres Français !
Le discours a duré au moins cinq minutes, ce qui est long, sans aucune réaction des voyageurs, qui tous n’étaient pas tétanisés (pour ma part, je m’étais placé debout entre lui et mon épouse, assise, car fatiguée). Un homme, un peu âgé, a essayé de répliquer en lui montrant qu’il portait un vêtement de marque américaine et que, de ce fait, il était aussi dans le système, comme les autres. Mais l’autre l’a pris verbalement à partie, essayant de lui faire dire qu’il approuvait les propos que lui, le « jeune », tenait.
Il n’y a pas eu de violence à proprement parler : cet imprécateur a d’ailleurs dit qu’il était contre la violence parce que « cela ne servait à rien pour le but que lui et ses frères s’étaient fixés » (il n’a pas précisé quel était ce but).
Pendant le « discours » (ou le sermon), les voyageurs, muets, regardaient dans le vide… Certains adressaient au « jeune » de timides sourires, déjà vaincus, déjà collaborateurs. Que représentait-il ? Simplement lui-même ? Exprimait-il une révolte toute personnelle ? La référence à l’histoire et aux moeurs de notre pays ne le laisse pas croire. Je me suis pris à penser qu’il nous restituait peutêtre le contenu des prêches de ces imams qui, en France, ne parlent à leurs ouailles qu’en arabe. Peut-être reflétait-il un langage courant dans nos banlieues ?
Et puis une pensée optimiste m’a éclairé cette scène, qui n’est qu’un petit fait parmi tant d’autres : chaque mot de son propos apportait à l’espérance nationale une raison et une vigueur nouvelles.

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