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FAUT IL POURSUIVRE NOTRE POLITIQUE DE COOPERATION NORD-SUD ?

Par S.E. l'ambassadeur Anton Smitsendonk
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Avec l’article du Vice Président M. Lucien Robin, le journal a bien voulu lancer un « libre débat » sur la question de savoir s’il faut vraiment poursuivre notre politique de coopération Nord-Sud.

M.Lucien Robin a dit que compte tenu des dynamiques démographiques et de la pression sur nos frontières européennes du coté de la Turquie et du Maghreb cette aide fut une panacée qui coûtait beaucoup d’argent et laissait voir des résultats peu palpables. On devrait être plus réaliste (par exemple abolir Schengen, rétablir la préférence nationale).

Je concorde bien volontiers avec les conclusions réalistes et les propositions suggérées par Lucien Robin. Simplement « poursuivre notre politique de coopération Nord-Sud (c’est-à-dire sans la réformer) serait en effet une mauvaise idée. « Notre » aide, vieux style, a eu son temps. Par contre on devra continuer avec une « aide Nord-Sud » d’un autre type, aide peut-être moins angélique, mais plus sérieuse, plus contraignante pour les deux parties, Nord et Sud.

Voyons quelques signes du temps :

¤ On a critiqué à juste titre le sommet européen de Thessalonique de ces derniers jours pour son manque de cohérence : d’un côté nous réclamons une politique commune plus sérieuse d’asile et de réfugiés, mais d’un autre côté nous ne faisons rien pour la réforme de la politique agricole commune qui cause en partie la pauvreté de l’Afrique noire et les flux d’émigration vers nos côtes. Nous apporterions une vraie aide si nous étions capable de mettre de la cohérence dans nos politiques, et lier les différents domaines.

¤ Quelques pays européens (La Grande Bretagne, les Pays Bas, le Danemark, etc.) ont proposé de repositionner la première phase de tout accueil de réfugiés hors de nos propres territoires en Europe, pour la situer dans la région (naturellement pas le pays même, mais dans un pays limitrophe) d’où vient le flux migratoire. Cela exige une libre coopération avec nous les européens, mais aussi entre les pays de la région concernée. Il faut les aider.

¤ Dans le cadre de cette coopération nous devrons bien proposer aux pays un remboursement pour les coûts et les inconvénients supplémentaires qu’ils doivent soutenir et d’autres formes d’assistance plus fondamentales pour améliorer leur économie et leur gouvernance. Cette idée de lier l’aide au développement à la maîtrise des flux migratoires fut lancée il y a quelques années par l’Australie en coopération avec, par exemple, l'île de Nauru. Un « Comité de Haut Niveau » de l’Union Européenne a soutenu une thèse similaire (entre autres durant le sommet européen de Séville). Le Haut Commissaire pour le Réfugiés y est aussi plutôt favorable. Cela vaut d’ être poursuivi.

¤ Monsieur Javier Solana agissant pour l’Union Européenne à Thessaloniki a proposé une zone de sécurité autour de l’UE. Un cercle de pays stables. Cette idée va tout-à fait dans le sens de nos propositions antérieures, par exemple la proposition qui voudrait développer les liens avec nos voisins dans des cercles concentriques sans les admettre comme membres à part entière. La Turquie (autre sujet de nos analyses et de nos actions auquel vous avez donné une grande contribution) pourrait bien se trouver dans un tel cercle autour de l’Union Européenne en position privilégiée, et presque comme « leader », comme « primus inter pares » d’un tel cercle. Ce cercle dans la vision de Solana et de ses maîtres politiques devrait prendre en compte les flux de la drogue et les flux migratoires. Cela de nouveau exige, sous de stricte règles, un certain niveau d’aide .

¤ Le programme pour la Méditerranée (MEDA, initiative de Barcelone) a aussi sa composante aide et mérite d’être revitalisé. On devrait amener les pays à créer de plus larges marchés en Afrique pour soutenir leur propre développement économique. Ce plan pourtant languit depuis des années. Recherchons-en la cause.

¤ Quand récemment le Ministre des Affaires Etrangères des Pays-Bas, Hoop Scheffer, a visité son homologue Français de Villepin ils se sont penchés tous les deux sur le dossier des Grands Lacs en Afrique, parce que de là viennent des dangers pour notre continent. Voilà comment l’aide au développement, la sécurité, la résolution des conflits doivent aller de pair, et doivent être intégrées.

¤ Que l’élément militaire doit jouer son rôle dans l ‘équation aide- maîtrise des flux migratoires est montré par la participation de l’Australie dans les actions en Afghanistan et Iraq. Depuis le succès de ces actions militaires les Afghans ne cherchent plus un refuge en Australie.

¤ Plus généralement on voit donc que « notre aide » qui fut relativement simple fait désormais place à une conception dans laquelle plusieurs moyens seront combinés dans une stratégie plus ample. Evidemment cela comportera des frais, mais si elle est bien gérée, cette nouvelle « aide » vaudra bien les frais, pour notre propre sécurité.

L’aide Nord-Sud comme elle existait hier ne mérite pas d’être poursuivie. Mais une aide plus complexe, plus « sévère », touchant à beaucoup d’autres domaines comme le régime des investissements, les accords de retour de réfugiés, même la défense et la résolution de conflits régionaux, prend sa place. Ainsi l’aide sera plus conforme aux besoins de nous-autres, Européens. La note financière de ce co-développement large ne sera peut-être pas plus légère que sous nos régimes d’hier. La différence sera que si avec cette note nous pouvons garantir notre sécurité, nous la paierons bien plus volontiers. Voilà des prolongations et des réformes qui sont bien conformes à ce que la « Voix des Français » pendant déjà des années a proposé dans ses colloques et ses multiples contacts avec les milieux politiques. Attachons-nous à cette tache importante, tous unis, et en laissant les inutiles divergences personnelles derrière nous. Sur tous les domaines mentionnés ci-dessus il nous convient d’être présents, de surveiller et critiquer - si besoin est -nos gouvernements, d'inciter les institutions ainsi que nos alliés en France et dans d’autres pays de l’Europe à prendre la bonne direction.

Merci, Lucien Robin, d’avoir lancé cette discussion qui nous contraint à des précisions et à réclamer des réformes conformes aux nos vrais intérêts d’aujourd’hui et de demain.

Anton Smitsendonk

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